Education. L’enfant : un opposant ou un résistant ?


Le texte « Education. L’enfant : un opposant ou un résistant ? » ci-dessous a été écrit le 13 juin 2014 par Claude BREUILLOT (psychanalyste), il est disponible sur son blog psychanalysebourgogne.

Cette journée d’étude à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu vient faire écho à mon travail d’aujourd’hui. M’interrogeant sur le réel de l’école et la place du psychanalyste dans la cité : le pédagogue n’aurait-il pas troqué sa tâche primaire, je dirai élémentaire, contre une forme d’ingénierie managériale ? Le ton est donné.

Un peu d’histoire. Peu de temps après la prise de Jérusalem par les croisés, le pape Pascal II reconnaît l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. À l’origine, l’ordre n’était autre qu’un petit hôpital fondé à Jérusalem pour venir en aide aux pèlerins malades ou blessés. Tâche primaire tout à fait respectable. Mais, la communauté religieuse qui assurait jusqu’alors la gestion de l’établissement est désormais chargée de défendre la Ville sainte et le royaume de Jérusalem. Sous l’effet de la demande, Ils occuperont, dès 1142, une grande forteresse de Tripoli. On entend le déplacement géographique fondé sur le désir de l’Autre. Au lendemain de la dernière croisade, les chevaliers de l’ordre seront contraints de fuir à Chypre, et s’empareront de l’île de Rhodes. Ils prendront alors le nom de “chevaliers de Rhodes”. Lorsque Charles Quint leur fera don de l’île de Malte – acte politique non dénué de choix reflétant son désir inconscient – ils troqueront une fois de plus leur nom contre celui de “chevaliers de Malte”. Le psychanalyste, s’appuyant sur la logique de l’inconscient, n’est-il pas à même de témoigner de ce qui est constitué comme effet de langage. D’hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem à Chevalier de Malte en passant par chevalier de Rhodes, le Nom entendu comme signifiant, et ses contingences, ne donne-t-il pas à entendre les effets de la Politique ? La politique serait-elle une formation de l’inconscient ?

Nous pourrions rejoindre Lacan qui écrit : « L’inconscient c’est la politique ». Si Freud a pu avoir accès à l’inconscient par l’étude des rêves, Lacan ne nous démontre-t-il pas, comme l’écrit Chantal Hagué , qu’il construit sa théorie en s’appuyant sur l’actualité et le contexte politique de l’époque.

L’écriture de ce texte est née d’un constat : La question des parents serait-elle : A quel sein (saint) se vouer ? Quel aide consommer ? Comment réparer mon enfant ? L’en-faire est pavé de bons sentiments. Lacan évoque, non sans se reporter à la société de consommation, car il est bien connu, qu’à la Samaritaine on trouve tout ce qu’on veut, «…l’aide samaritaine, celle qui, confuse, se perd dans des champs, dans des abysses qui sont ceux de l’élévation d’âme. .. » Un nombre de plus en plus important de familles consulte avec une demande qui pourrait apparaître comme du remplissage ou du débordement : la même semaine, ils prennent rendez-vous pour leur enfant à mon cabinet, et, chez le neurologue, chez l’orthophoniste voire l’ergothérapeute, le kinésiologue ou le rebouteu, l’inscrivent au yoga et au judo. Comment ces parents en arrivent à ce déferlement d’angoisse qui ne peut ne pas agir sur l’enfant ? J’entends que fleurissent à l’école nombre de tables inclinées, tentant de résoudre avec quelle magie, telle ou telle dyslexie. Nombre d’enseignants travaillent en classe, en « compagnie » d’adultes dont souvent, ils questionnent la formation : AVS, EVS, aides-pédagogiques…Dès la maternelle, l’enfant est mesuré, évalué, randomisé,…souvent avec l’accord de parents parfois surpris mais qui, par un excès de confiance peut-on penser, s’en remettent à l’école et souvent à leur médecin généraliste qui prescrira le plus souvent des séances d’orthophonie qui, poussé par la demande parentale, perdureront sans fin ou sans faim. Ce faisant, ne cautionnent-ils pas un prêt-à-penser qui tente d’évacuer le symptôme avant même de tenter une quelconque mise en sens de celui-ci dans le champ de la parole au sens de la psychanalyse ? Ce vide de parole ou cette parole vide auraient des répercussions ? J’apprends que pour la rentrée, les syndicats d’enseignants reprenant à leur compte l’idéologie gestionnaire, prennent pour cible la problématique de la « gestion de classe » ou « la gestion de conflit », et proposent – pour que le discours tourne bien sur lui-même – des analyses de pratiques animées par « leurs collègues » enseignants-chercheurs en Sciences de l’Education. En Bourgogne, ce sera un membre du laboratoire SPMS à l’UFR STAPS de Dijon (Sociologie, Psychologie et management du Sport).

Le psychanalyste pourrait-il rendre compte, questionner, le politique et les choix d’une institution telle que l’Education Nationale ? Comment pourrait-il interpeller ses membres, s’appuyant sur son éthique, pour interroger leur formation et le sens même de leur métier ?
Le psychanalyste peut-il ou doit-il venir questionner ce dire sur tout et n’importe quoi. Ce dire normatif au sens de Cynthia Fleury. Dans « Politique du courage » ; elle écrit : « [Le dire] renvoie à des critères spécifiques, sinon il est le dire de la doxa, populiste, tout-puissant et infantile. » Elle interroge le dire vrai. De quel vrai s’agit-il ? Relisant Foucault et son dernier cours au collège de France : « Le gouvernement de soi et des autres », Cynthia Fleury nous rappelle l’essentiel : « Le dire vrai est inséparable d’un dire vrai sur soi-même, et que la pratique d’un tel dire prend appui sur, et fait appel à, la présence de l’autre. »
Le psychanalyste, un parrêsiaste qui s’ignore ? La place du psychanalyste, son attitude, est –elle à rapprocher de la parrêsia ? Sa parole ne serait pas du domaine du simulacre instrumentant le désir d’épanouissement d’un sujet, mais bien, comme Honneth a pu l’étudier dans le monde du travail, une tentative de mise en lumière d’une destitution du sujet.

Comme les cyniques, selon Foucault, le psychanalyste ne cesserait de montrer comment l’aspect arbitraire des valeurs que nous avons reçues pour vrai et qui paraissent tellement évidentes, nous semblent désormais nécessaires.

La difficulté, nous explique Winnicott dans la crainte de l’effondrement, vient de ce que le patient craint ce que le vide a de terrible, et de ce qu’il s’en défendra par un vide sous contrôle, organisé en ne mangeant pas, ou en n’apprenant pas. ” De quel vide l’enfant, inconsciemment, à l’école, ferait-il le constat ? Le rejet de tout apprentissage pourrait-il en devenir la conséquence ? Reprenant à mon compte une phrase de Lacan dans « L’acte psychanalytique » écrit en 67/68, dans un moment où l’actualité politique fera irruption dans son séminaire : L’enfant aurait-il tort de ne pas vouloir être admis aux bienfaits de cette école ? Ne représente-t-elle pas un Autre particulièrement despotique, soulignant ses fautes, ses incapacités, ses manques, ce faisant, tout comme les vietnamiens, à l’époque, refusent la propagande du discours capitaliste, l’enfant, lui, se placerait symboliquement en résistant.


Hagué, C. « L’inconscient, c’est la politique », non publié, 2014, psychanalyste AF. Elle écrit : « A ce propos, je vous recommande un article qui s ‘appelle « La conjuration. Lacan autour de 68. Quelques éléments pour une lecture conjoncturelle » de Livio Boni. Livio Boni est italien, chercheur en philosophie et docteur en psychopathologie, traducteur vers l’italien d’Alain Badiou. Il travaille entre autre sur les articulations entre théorie politique et psychanalyse, à partir de la pensée française contemporaine. Il propose, dans cet article, une analyse de la démarche de Lacan, élaborant sa théorie en s’appuyant sur l’actualité, sur le contexte politique de l’époque et en piochant dans la pensée marxiste. »

 

À lire :
► Lacan, J. Séminaire « l’acte psychanalytique », leçon du 13 mars 1968, page 225
► Fleury, C. « La fin du courage », Le livre de poche, 2010, page 132-133
► Winnicott, D. in « La crainte de l’effondrement.» Page 215

Claude Breuillot
Psychanalyste Analyse Freudienne
Bourgogne
Journée d’étude : Lyon 2014

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