Education et psychanalyse : quand on nous fabrique une vie de servitude et d’aliénation


Le texte « Éducation et psychanalyse: quand on nous fabrique une vie de servitude et d’aliénation » ci-dessous a été écrit le 16 février 2014 par Claude BREUILLOT (psychanalyste), il est disponible sur son blog psychanalysebourgogne.

claude-breuillotSoeur Anne, ne vois-tu rien venir ? ou la désubjectivation comme conséquence de l’effondrement du symbolique à l’école ?

La difficulté vient de ce que le patient craint ce que le vide a de terrible, et de ce qu’il s’en défendra par un vide sous contrôle, organisé en ne mangeant pas, ou en n’apprenant pas. ” la crainte de l’effondrement” Winnicott page 215

Relisons Barbe-Bleue. Tout comme l’amour rend aveugle, l’argent et son attrait participe à notre aveuglement. On peut l’entendre métaphoriquement.

[…]IL était une fois un homme qui avoit de belles maisons à la ville et à la campagne ; de la vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderies et des carrosses tout dorés. […]

Barbe-Bleue ne propose-t-il pas un monde d’illusion ?

Cependant, ne lâchant pas sur leur désir, bravant la mort jusqu’à l’extrême limite, les autres Anne, les frères, …viendront peut-être changer le cours de l’histoire.

L’enfant est curieux : on peut l’entendre de multiples façons. C’est la recherche d’un point d’impossible à savoir, d’inaccessible, qui viendrait ouvrir le domaine de la connaissance[1].

D’une part la pulsion épistémophilique se renforce de la pulsion sexuelle au risque de subir la pression de l’interdit de savoir. Le destin de cette pulsion aura des répercutions certaines dans l’accès au savoir et au désir d’apprendre. De l’autre l’enfant ne place-t-il pas l’institution scolaire face à une grande perplexité, une inquiétante étrangeté ? Nous serions dans un monde avant Pinel, et par conséquent avant la découverte de la psychanalyse.

Le nouveau, dit Lacan, c’est que nous savons maintenant que l’inconscient est un savoir emmerdant. Faut-il continuer à l’aimer, ou bien poursuivre sur son erre (comme un bateau quand s’interrompt la force qui l’a propulsé) pour accéder à un peu plus de réel [2]?

L’enfant redeviendrait, comme par le passé, cet être de manque, vide, en demande d’être comblé ? Or, il est juste gavé.

N’est-ce pas l’une des phrases « clé » des adolescents d’aujourd’hui : « Tu me gaves ! » Cette phrase retentit comme un mécanisme de défense, un rejet de l’autre comme espoir ultime d’exister et plus grave, un rejet de l’institution scolaire. Quand l’institution scolaire devient un espace de propagande, elle ne préserve pas l’enfant dans son être le plus intime et ne l’entrevoit que comme élève.

Comme l’écrit l’adolescent Freud à son ami Silberstein depuis l’âge de 14 ans,  avec qui il fonda le premier « cabinet secret » , l’Académie espagnole, : « […] Etre étudiant, cela signifie être son propre maître et avoir du temps ; si tu vends ton temps, et te réduis en esclavage plusieurs heures par jour, il te restera peu d’occasions, et peu d’envies, de jouir de la liberté, d’autant plus que tu devras encore faire tes études […] [3]»

 

L’école et le handicap : un exemple de propagande. Tous handicapés avec une AVS derrière soi ?

Lacan écrit : « Il n’y a de sujet que d’un dire, de ce dire il est l’effet, la dépendance. [4]

Nous pouvons faire un constat : dans le champ politique, nombre de conseillers généraux tirent la sonnette d’alarme : la gestion du handicap coûte de plus en plus cher. Nous arriverions à une limite qui interroge enfin. Mais qu’en est-il ?

« La seule obligation strictement morale du citoyen découle de cette double volonté de s’engager et d’assumer toutes les conséquences de cet engagement en ce qui concerne son comportement futur ce qui constitue le préalable non politique de toutes les autres  vertus spécifiquement politiques.[5] »

Le psychanalyste peut-il, là-aussi, s’octroyer un bout de réel ? S’autorisera t-il à ouvrir la porte du cabinet interdit, au risque de laisser tomber la clé dans le sang des victimes ?

[…]Ce petit Cabinet, je vous défends d’y entrer, et je vous le défends de telle sorte, que s’il vous arrive de l’ouvrir, il n’est rien que vous ne deviez attendre de ma colère. Elle promit d’observer exactement tout ce qui venoit d’être ordonné, et lui, après l’avoir embrassée, monta dans son carrosse et partit pour son voyage. Les voisins et les bonnes amies n’attendirent pas qu’on les envoyât querir, pour aller chez la jeune mariée, tant elles avoient d’impatience de voir toutes les richesses de sa maison.[6][…]

Un rapport du Senat daté du 4 juillet 2012[7] me mit sur la voie. Je souligne : « Une inflation d’activité préjudiciable à la qualité du service rendu… » et plus loin : « 2-a) La croissance très dynamique des dépenses de PCH (prestation de compensation du handicap)[8] : un sujet d’inquiétude pour les conseils généraux. »

A partir de notre pratique, quelle analyse pouvons-nous en faire ? Nous pouvons nous aider des apports de lacan et de la linguistique. Différencier sujet de l’énoncé et sujet de l’énonciation : ” ca parle dans l’Autre (…), c’est là que le sujet, par une antériorité logique à tout éveil du signifié, trouve sa place signifiante. La découverte de ce qu’il articule à cette place, c’est à dire dans l’inconscient, nous permet de saisir au prix de quelle division ( Spaltung ) il s’est ainsi constitué.[9] ” Roland Chemama écrit : « Dès lors qu’il parle, dès lors que son désir se constitue au niveau du langage, toujours équivoque et polysémique, on peut entendre un autre discours au-delà de ce qu’il croit vouloir dire. Il y a ainsi division entre le sujet de l’énoncé et le sujet de l’énonciation.[10] »

 

Entendre les énoncés de l’Éducation Nationale :

Soyons pragmatiques : dans un contexte où le psychologue de l’Éducation Nationale, « signifiant-maître » du soi-disant désir de sujet,  souffre d’une identité professionnelle floue par-devant ses collègues enseignants, mais aussi au sein des textes législatifs qui ont du mal, depuis des dizaines d’années, à lui reconnaître un statut : c’est l’institution qui décrédibilise son intention première de faire de l’enfant le centre du dispositif. D’autre part, la suppression de certaines commission et la création des MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) au titre V de la loi du 11 février 2005 n’a-t-elle pas favorisé l’émergence d’un discours porté inexorablement par la saisine quasi systématique des médecins scolaires et de leurs assujettis potentiels : secrétaires de CDES, Infirmiers (ères), inspecteurs et enseignants au grand damne des parents et de leurs enfants ? Quelle est leur formation ? Le recrutement des médecins de l’éducation nationale s’effectue par voie de concours sur titres et travaux comportant l’étude par le jury d’un dossier constitué par le candidat et suivi d’un entretien avec le jury, selon les modalités suivantes.

Le dossier, qui est déposé par le candidat lors de son inscription, comprend :
– une copie des titres et diplômes acquis ;
– un curriculum vitae impérativement limité à deux pages ;
– une note de présentation dactylographiée de cinq pages au plus, décrivant le ou les emplois qu’il a pu occuper, le ou les stages qu’il a pu effectuer, et la nature des travaux qu’il a réalisés ou auxquels il a pris part [11] pour un salaire de 4000 à 11000 euros.

On peut lire :  « Ils identifient les besoins de santé spécifiques de leur secteur et élaborent des programmes prioritaires prenant en compte les pathologies dominantes et les facteurs de risques particuliers. A cet effet, ils conduisent des études épidémiologiques.

Ils contribuent à la formation initiale et à la formation continue des personnels enseignants, des personnels non enseignants et des personnels paramédicaux ainsi qu’aux actions d’éducation en matière de santé auprès des élèves et des parents menées en collaboration avec la communauté éducative.

Ils participent à la surveillance de l’environnement scolaire, notamment en matière d’ergonomie, d’hygiène et de sécurité.

Ils assurent les tâches médico-psycho-pédagogiques concourant à l’adaptation et à l’orientation des élèves notamment par leur participation aux diverses commissions de l’éducation spécialisé. »

Le médecin scolaire n’est-il pas un manager de l’Education Nationale, porte-drapeau de l’OMS (organisation mondiale de la santé) et de leurs attributs statistiques ? Sur quelles bases construisent-ils leur diagnostic ? Nous allons essayer de le comprendre par un exemple.

Pour les parents et les enseignants, le médecin et son discours représentent le savoir. Comment ne pas profiter de cette place, de la précarité et de la vulnérabilité des familles face aux problèmes de leur enfant, de leur manque de connaissance, de l’angoisse des enseignants, pour abuser du pouvoir médical et, en second lieu, de celui de la MDPH ?  Aujourd’hui, en France, un enfant agité â l’école peut se voir proposer un dossier de handicapé. Des dérives ? De nombreuses familles vont demander des allocations sous la pression de lobbies associatifs. L’école ne travaille plus avec des enfants, elle gère des flux. Le médecin en place de  rabatteur? La conséquence : des wagons d’enfants sur la voix du handicap sans discernement, sans diagnostic différentiel, en toute impunité, et souvent dans le non-respect des droits fondamentaux de l’être humain et des droits de l’homme en particulier. Création de dossiers en tous genres. Dans une société du codage, du traçage, de la biométrie, des dossiers en tous genres, le respect de l’anonymat : c’est moderne. L’anonymat est souvent le seul moyen de voir sa vie privée respectée. C’est en cela, le contraire de la transparence ? La violence au quotidien pour de nombreuses familles et une fois de plus la défiance. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de nier le handicap. Mais je n’entrerai pas dans un discours clivant entre le Bien et le Mal.

Le père à l’enseignant: “Mon fils à des problèmes en ORL (grammaire). Que faire?” Réponse souvent unanime  de l’école: 1) orthophoniste 2) médecin scolaire. Si certains doutent – ceci dit, le doute est important en inscrivant un écart – cependant, écoutez autour de vous.

On requiert votre attention, autre symptôme particulièrement envahissant à l’école. « Les médecins et mécaniciens, disciplines stochastiques (selon Aristote) sont confrontés à la perspective de l’échec, expérience qui tempère l’illusion de la maitrise. Ils cultivent une vertu qui n’est pas la créativité (achetée à peu de frais cognitifs pour satisfaire notre moi narcissique dans la société consumériste) mais une qualité plus modeste : l’attention.[12] »

 

L’exemple de la dyslexie et des réseaux de neurologues :

Sabine Prokhoris écrit : « La question qui constitue le cœur de cette discipline, la psychanalyse : celle de l’emprise, à savoir de la dictature de signifiants incorporés, plus forts que des sorts toujours pourtant fissurés. [13]»

Comment l’école et les sciences de l’Éducation ont creusé le fossé avec les parents ?

Nous avons pu montrer à l’occasion d’un précédent article, comment l’utilisation de sigles comme ORL (grammaire) avait véhiculé l’esprit scientiste d’une école créatrice de violence. Prenons comme angle la dyslexie : autre symptôme actuel.

La propagande organisée explique et propose, dans un prêt à penser rassurant et déculpabilisant,  par la neurologie, relayée à l’école par la pédagogie et la politique de l’éducation, reprise par sa mutuelle phare : la mutuelle de l’Education Nationale[14] forte de ses réseaux bien connus à tous les niveaux de l’école.

Une forme de corruption ? Confusion des genres ? Conflits d’intérêts ? Réseaux d’influence ? Neurosciences… La très sérieuse inspection académique de Poitiers[15], reprend les propos de M. Ha.., neurologue et cite la MGEN, en élevant ces diagnostics comme VÉRITE. On peut lire : « Pour tout un chacun, cette terminologie commune “en DYS”, a l’avantage de mettre en exergue l’existence de troubles spécifiques à l’école et donc de participer à leur reconnaissance. C’est nécessaire car la fréquence des DYS est encore gravement sous-estimée. » puis, plus loin : « … Ils représentent un handicap spécial dans la mesure où il n’est pas évident à déceler… » Aucun écart, un discours à résonance totalitaire. Le gravement sous-estimé, soulignant l’urgence,  fabrique la peur et son avatar : le principe de précaution. La prise de pouvoir managériale des médecins scolaires et autres assujettis transforme l’école en bombe à retardement.

Cette croyance repose sur l’inénarrable DSM refusé aux Etats Unis dans sa dernière version et appliqué courageusement par la majorité de nos médecins psychiatres et autres.

La dictature du DSM et celle non moins féroce d’une certaine psychiatrie nous fabriquent une vie de servitude et d’aliénation. « Le malade est invité à se déprendre de toute interprétation subjective de ce qui lui arrive. Il est invité à se regarder comme un autre, à se méfier de ce qu’il éprouve, car tout ce qu’il éprouve doit être interprété en fonction de cette maladie qu’il ne peut connaître et que seul le discours médical peut interpréter.[16]»

Comme le numérique – coeur du métier d’enseignant – permettra aux mutiques de s’exprimer et aux agités de se poser, le moment “viendra peut-être” où l’on pourra, dans la foulée, remplacer tous les maîtres d’école par des neuro-chirugiens ?

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[1] Jean-Calmettes (S.),psychanalyste,  ALI,  Freud-Lacan
[2] Lacan (J.), « Les non-dupes errent. », 11 juin 1974
[3] Freud (S.), (1989) Sigmund Freud Jugend-briefe an Eduard Silberstein 1871-1881, VSF, Fischer S., 251 p On peut se rapporter à l’article d’Alain de Mijolla in « Un adolescent bien tranquille sigmund Freud » Les cahiers du Collège International de l’adolescence, 1996,1
[4] Lacan (J.), « D’un Autre à l’autre. »,  4 décembre 1968
[5] Harendt (A.), « Du #mensonge à la #violence. »
[6] La Barbe-Bleue de Perrault (1628-1703)
[7] N° 635 SÉNAT SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012 Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2012 RAPPORT D’INFORMATION fait au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois (1) sur l’application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées , Par Mmes Claire-Lise CAMPION et Isabelle DEBRÉ, Sénatrices
[8] Enquête sur la prestation de compensation  du handicap
[9] Lacan (J.), « La signification du phallus. »
[10] Chemama (R.), « Clivage et division subjective. »
[11] Modalités d’organisation et le programme de l’épreuve orale des concours de recrutement des médecins de l’EN
[12] Crowford, philosophe et analyste du travail
[13] Prokhoris (S.), psychanalyste
[14] Bulletin MGEN « Valeurs mutualistes » n° 253 – janvier 2008 et janvier 2014
[15] http://ww2.ac-poitiers.fr/ecoles/IMG/pdf/Les_DYS_une_presentation_v.D.pdf
[16] Clavreul, (J.), « L’ordre médical », Le cham freudien, 1978, page 83

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